vendredi 22 avril 2011

Informatique et système d'information : "signaler" n'est pas "informer"

Parallèlement aux développements des techniques informatiques, improprement rassemblées sous le label "technologies de l'information", les professionnels de l'information, confrontés à un véritable raz de marée informationnel, ont dû se pencher sur les problèmes de gestion des connaissances (knowledge management en anglais) ou de maîtrise de l'information (on parle désormais de "gouvernance informationnelle"). Malgré le développement incessant d'outils censés apporter des solutions à ces problèmes, force est de constater que ces derniers sont encore loin d'être résolus. Et si, depuis près d'un siècle en particulier avec la cybernétique, on s'était fourvoyé dans une impasse faute d'un vocabulaire adapté ?

Il y aurait beaucoup à dire sur les notions de connaissance et de savoir, sur ce qu'elles ont en commun comme sur ce qui les distingue, ainsi que sur la mémoire auxquelles elles sont étroitement liées. Sans entrer ici dans des considérations philosophiques ou épistémologiques qui nous mèneraient trop loin, contentons nous simplement d'observer que ces notions ne sont pas spécifiques à l'espèce humaine. Les animaux ont une mémoire, ils connaissent suffisamment le monde qui les entoure pour s'y adapter, et savent tout ce qu'il leur faut savoir pour y vivre et perpétuer l'espèce.

Sur la notion d'information en revanche, sur son histoire ou ses racines étymologiques comme sur ses acceptions modernes, il me semble nécessaire de s'attarder un peu. Étymologiquement, le mot indique l'action de donner ou de recevoir une forme. La philosophie traditionnelle a retenu ce sens, l'usage courant l'a rattaché à la notion de connaissance (informer, c'est faire connaître quelque chose à quelqu'un),  tandis que la cybernétique moderne en donne une définition bien plus complète : une information est un élément de connaissance apporté par un message qui en est le support et dont elle constitue la signification (André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Quadrige/PUF, 2006).

En réalité, si le mot information est employé dans des phrases et des contextes variés (information contenue dans cet article, information pouvant servir à..., informations codées dans le génome, ...), le besoin fort d'en apprécier la valeur ou la quantité a conduit l'homme moderne à lui rechercher un cadre théorique. La théorie de l'information de Shannon (1949) a été la première théorie scientifique de l'information développée pour les besoins des télécommunications. D'autres ont suivi pour les besoins de la science des ordinateurs ou informatique, mais également pour ceux de la biologie moléculaire et de la génétique. Ces deux dernières sciences ont dominé la deuxième moitié du vingtième siècle, et largement contribué à la transformation du monde par leurs immenses avancées théoriques et pratiques. Elles nous laissent en ce début de troisième millénaire une perception scientifique de l'information entièrement dominée par la notion de signal.

Les sciences physiques définissent le signal comme un phénomène physique (tension, courant, champ électromagnétique, onde sonore ou lumineuse) transmettant une information, tandis qu’en économie, le signal est considéré comme une information donnée par un émetteur qui aide le récepteur à prendre une décision. Du phénomène physique à l’information décisionnelle pour les agents économiques, le spectre est large, que l’usage courant parcourt dans toute sa largeur.

Pourtant, si l'information reste une notion particulièrement délicate à définir, on peut néanmoins affirmer qu'elle ne peut pas se limiter à celle de signal, même si ces approches scientifiques peuvent le laisser penser (le signal transmet une information..., un signal est une information...), et que les processus de décision inconsciente (réflexe), fonctionnant à partir d'automatismes, peuvent s'en contenter. En effet, la décision consciente, celle qui chez l'être humain passe par la pensée (réflexion) et se nourrit d'information, s'appuie sur un "langage" (la Langue) bien plus complexe (et plus complet) que les simples langages mathématiques ou informatiques qui permettent le traitement du signal pour déclencher une action. Ces langages ont pour vocation de traiter des données qui, portées à la connaissance d'un récepteur par le signal, sont des informations simples, mais la langue donne accès à des informations bien plus complexes que les simples données issues du signal.

Je reviendrai dans un prochain article sur ce qui devrait distinguer à mon sens un système informatique d'un système d'information, mais on peut se contenter ici d'observer que la notion d'information ne peut pas se réduire à l'information numérique objet des théories scientifiques ou mathématiques de l'information ayant conduit au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Si elle peut être recueillie par des outils électroniques et, grâce à la technologie numérique désormais généralisée, être transmise et enregistrée sous forme numérique, puis éventuellement traitée sous forme de données, l'information dans son sens le plus large, qui englobe la matière première et le produit de la pensée humaine, ne peut se confondre avec une donnée ou avec le signal qui la porte.

à suivre donc,

Voir aussi L'information, c'est une chose trop grave pour être confiée aux informaticiens !

FB

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