lundi 18 mars 2013

Des flux d'informations difficilement maîtrisables


Dans une série de quatre articles publiés par LaTribune.fr, Michel Cabirol s’appuie sur les auditions des cinq grands patrons des services de renseignement, lors de leur passage en 2013 devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, pour faire un survol assez complet de l’évolution récente des services de renseignements français. Parmi les difficultés qui demeurent et les insuffisances capacitaires identifiées, la maîtrise de plus en plus difficile des flux d’informations semble être un "véritable enjeu" "pour lequel tout est à construire" selon les propres termes du directeur de la DGSE. Pourtant, ce ne sont pas tant les flux d’informations qui sont difficiles à maîtriser, mais bien les connaissances engendrées par ces flux qui sont difficiles à organiser afin de les rendre accessibles à tous ceux qui en ont besoin pour en extraire les savoirs utiles à l’action.

La DRM semble plus avancée que la DGSE en matière de diagnostic du problème, mais guère plus en ce qui concerne sa solution. Pour la DGSE, en effet, le problème se résume à un enjeu "économique et technologique", tandis que sa solution, qui reste entièrement "à construire", passe par le "traitement automatisé des données". C’est là une erreur classique qui consiste à confondre informations et données en assimilant le problème à un enjeu technique de traitement automatisé. Contrairement aux données d’un problème de calcul qui peuvent être traitées par des calculateurs, la plupart des informations intelligibles qui constituent les savoirs utiles à la décision ne se prêtent guère à de simples traitements réalisés par des automates. Elles doivent être "exploitées" par une intelligence humaine afin d’être transformées en savoirs et en renseignements (renseigner, c’est délivrer un savoir utile à l’action). La DRM fait un meilleur diagnostic en notant l’augmentation des dossiers "à traiter" (en toute rigueur, elle devrait dire "à exploiter") et le manque de personnel à consacrer à ce travail d’exploitation.

Mais les solutions suggérées (renforts de personnels ou investissements technologiques toujours plus importants) ne paraissent pas être à la hauteur de l’enjeu identifié, et "tout" semble être en effet "à construire" pour parvenir à une véritable maîtrise de l’information. Ce qui manque le plus aux uns comme aux autres, ce n’est ni le nombre d’hommes ni la performance des outils, mais plutôt les savoir-faire en matière d’organisation des connaissances adaptés à des technologies numériques désormais omniprésentes, et l’adaptation des outils aux méthodes d’exploitation des dossiers numériques du renseignement fondées sur ces savoir-faire. Face à l’accélération des flux d’informations résultant de la multiplication des réseaux numériques, les méthodes d’exploitation du renseignement doivent inventer de nouvelles voies pour demeurer performantes tout en satisfaisant aux exigences de réactivité inhérentes à l’accélération des flux d’information et du rythme des situations de crises. Ces nouvelles voies qui restent à inventer ne relèvent pas de l’innovation technologique, mais bien d’une innovation méthodologique qui ne peut être le fait que des professionnels de l’exploitation du renseignement. Même si celle-ci doit impérativement tenir compte d’un environnement technologique omniprésent, elle ne constitue pas en soi un quelconque enjeu technologique.

FB

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