mercredi 20 août 2014

Stratégie et renseignement à l’ère de l'information (2/3)

Article précédent :  (1/3) "connaître et anticiper" ?


Et si nos stratèges étaient à nouveau en retard d'une guerre ?

À l'ère industrielle qui incitait à la mobilité, nous nous sommes retranchés derrière une ligne Maginot quand il aurait fallu développer les chars de combat, l'aviation et les sous-marins. À l'ère de l'information qui lui succède et incite à l'anticipation et au dialogue, nous nous réfugions derrière des monuments de doctrine aussi peu réalistes que la ligne Maginot, et des paraphrases qui minimisent l'importance du renseignement quand celui-ci doit adapter ses pratiques d’exploitation aux technologies numériques. C’est pourtant seulement ainsi que le renseignement pourra renouer avec sa fonction d’exploitation mise en péril par la surabondance d’information. En même temps que la stratégie renoue avec une tradition préventive un temps confisquée par l'affrontement massif et brutal des puissances, l’exploitation du renseignement, redevient en effet de facto une fonction essentielle à laquelle il faudrait consacrer tous nos efforts pour accompagner sa métamorphose dans un environnement technologique en pleine mutation.


Au lendemain du premier conflit mondial, avec la motorisation du champ de bataille, la guerre de position devait céder le pas à une guerre de mouvement. La puissance de feu et la conquête puis l'occupation du territoire étaient toujours les facteurs déterminants de toute stratégie militaire, mais la mobilité devenait une capacité tactique essentielle, reléguant la fortification à un passé technico-militaire certes riche mais clairement dépassé sur le plan opérationnel. La fin de la seconde guerre mondiale et le fait nucléaire ont marqué la limite de cette stratégie d'affrontement massif en sonnant le glas de la guerre totale entre grandes puissances. La dissuasion avec la menace d'une puissance de feu apocalyptique devenait le fait politico-militaire majeur, réduisant la stratégie à la planification de scénarios aussi improbables que monstrueux, tandis que les guerres coloniales répétaient toutes le même échec des stratégies d'affrontement armé et d'occupation du territoire face à la résistance des peuples déterminés à acquérir leur indépendance.

La disparition inéluctable de tous les empires coloniaux ayant laissé la place à un monde particulièrement instable qu'aucune pax romana, qu'elle soit americana, sovietica ou encore occidentalia,  ne peut plus prétendre régenter, il nous faut désormais "changer de logiciel" et comprendre (ce que le fait nucléaire laissait déjà entrevoir avec la dissuasion) que l’intervention militaire fondée sur la puissance de feu et le contrôle du territoire n'est plus le facteur stratégique déterminant d'une politique de défense moderne dont le concept est élargi à la notion de sécurité nationale. La sécurité des nations doit passer par d'autres modalités stratégiques d'utilisation des forces armées lorsque celles-ci s'avèrent nécessaires. La faillite politique de toutes les aventures guerrières occidentales depuis la fin de la seconde guerre mondiale et les échecs militaires de bon nombre d'entre elles, doivent nous inciter à envisager la sécurité nationale sous un autre angle stratégique que celui de l’intervention et la puissance de feu avec la mobilité comme capacité tactique prioritaire pour assurer le contrôle du terrain.

Alors que le prix de chaque vie humaine devient à ce point élevé qu'aucune démocratie ne peut plus survivre à des hécatombes humaines telles que nous en avons connu au vingtième siècle, tant dans son propre camp du fait de l'ennemi, que dans le camp ennemi de son propre fait, et que l'arme atomique a rendu la dissuasion déterminante pour assurer la sécurité entre grandes puissances, la prévention s'impose naturellement comme fonction stratégique majeure (probablement la seule véritablement réaliste) en matière de sécurité nationale.

Il est d’usage de considérer qu’après l’ère industrielle amorcée au 19ème siècle, nous sommes entrés au 21ème siècle dans l'ère de l'information. Dans cette nouvelle ère qui s’ouvre à nous, l'intervention cède la place à la prévention : il s'agit de prévenir les crises ou les agressions d'où qu'elles viennent, par tous les moyens. La connaissance et l'anticipation deviennent les facteurs déterminants de toute stratégie militaire en lieu et place de la puissance de feu et de la conquête.

La dissuasion était le moyen majeur de prévention des conflits dans la guerre froide qui opposait les grandes puissances nucléaires. Un peu comme un jeu de poker géant n'arrivant jamais à terme, elle reposait sur le secret des cartes et des enjeux si énormes qu’ils paralysaient le jeu de chacun. Fondé sur une sorte de bluff monstrueux qui consiste à "faire tapis" systématiquement, ce jeu est néanmoins de plus en plus perturbé par de nombreux petits acteurs ne disposant pour l’instant que de petites mises, mais suffisantes pour l’emporter sur les grands, paralysés par l’énormité de leur tapis. La prévention ne peut plus désormais se contenter du rempart que la dissuasion dressait, adossée au secret des cartes. Elle doit désormais s'appuyer sur l'anticipation et la connaissance du dessous des cartes par tous, en impliquant toutes les "parties prenantes" grâce à une communication érigée en capacité majeure. 

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